Avec RV (2014)
Performance
(English)
À plusieurs reprises dans ma vie, j’ai joué de mes instrumentations sonores, seule ou accompagnée, lors de festivals ou d’événements ponctuels, dans des salles de spectacle, des cafés, des galeries d’art, des bars, des musées, et ce, la plupart du temps devant un public intime. De toutes ces expériences, la performance que j’ai effectuée en présentant Avec RV s’est démarquée pour deux raisons, et c’est possiblement ce qui en a fait un événement si dense, empli d’émotions et de vitalité.
D’abord, à l’origine de celui-ci, il y a eu l’invitation de la commissaire-artiste Caroline Gagné. Dans le cadre des Cabarets audio du quinzième Mois Multi, à Québec, elle m’a conviée à performer parmi la clientèle d’un restaurant. J’allais donc être catapultée au milieu d’un environnement potentiellement hostile, ou du moins parmi un public qui n’avait pas nécessairement été prévenu de ma présence et de ma besogne, premier élément inhabituel pour moi. J’ai accepté de relever le défi.
Je me souviens de mon état, de mes efforts pour accueillir ce qui était là, pour rester calme, ouverte, disponible tout en improvisant, attentive. Après un moment, et de plus en plus, nous pouvions entendre les glaçons danser dans les verres et les douces clameurs que je jouais en pensant, de manière tout aussi inaccoutumée, à mon ami mort la veille.
Malheureusement, il ne reste aucune trace matérielle de cette performance, mises à part quelques photographies. J’oublie souvent, paradoxalement, de m’enregistrer. Cependant, Caroline a généreusement accepté de revivre le moment et de nous offrir le témoignage qui suit.
Densifier le temps. Notes à propos de la performance Avec RV de Nancy Tobin
Texte de Caroline Gagné (2022)
Témoigner de la performance de Nancy Tobin, présentée au restaurant Le Cercle, hôte des Cabarets du Mois Multi en 2014, c’est plonger au cœur d’un geste fort et consciencieusement déployé, un geste qui m’aura laissé l’impression d’avoir expérimenté une densification du temps. Comme programmatrice, j’assistais à l’événement avec une certaine fébrilité, consciente qu’une telle proposition, celle-ci ayant duré à peu près une heure dans un espace commercial où le public n’était pas nécessairement convié en tant qu’auditoire, pouvait être un pari audacieux. Pourtant, depuis cette soirée, il m’arrive souvent d’évoquer cette œuvre tant l’artiste, avec son dispositif sonore, a su canaliser l’attention.
Ce soir-là, la salle à manger était bondée et une musique résonnait au-dessus des conversations. Nancy est apparue vers 22 h, en haut de l’escalier qui se dressait au fond de la salle. Elle était vêtue d’une robe droite et courte au délicat motif de couleur pâle, laissant voir ses jambes nues et tout aussi pâles, ce qui contrastait avec les bottes militaires qu’elle chaussait. Son entrée en scène m’a rappelé le tableau Nu descendant un escalier no 2 de Marcel Duchamp, tellement une temporalité subjectivée a, dès lors, semblé altérer le moment présent.
Une fois le rez-de-chaussée atteint, la performeuse s’est déplacée entre les tables, parmi les gens, jusqu’à l’endroit où elle avait préalablement installé son matériel : une chaise de camping berçante en aluminium, une lampe sur pied modeste, une console disposée sur deux caisses à lait rétro trouvées sur place, un contrôleur et quelques accessoires, tels un micro et un harmonica. Nancy avait préparé une performance qu’elle allait effectuer à partir d’ondes électromagnétiques captées en temps réel – la chaise avait été choisie, entre autres, pour sa capacité à agir comme une antenne.
Les conversations se sont atténuées au fur et à mesure que le volume de la musique d’ambiance diminuait et que celui de l’improvisation sonore augmentait à même les haut-parleurs du restaurant. Une communauté attentive s’est formée autour de l’artiste qui se berçait et manipulait le contrôleur posé sur ses genoux. Alors que les vagues sonores se succédaient dans l’espace, j’ai pensé que l’art a bien le potentiel de rendre tangible une consistance partagée, et au présent.
Photographie de: Isabel Rancier
Je remercie : Caroline Gagné, Nik Forrest, Anne-F Jacques.